Agnès Perrin nous trace quelques pistes pédagogiques pour faire rimer école et poésie, poésie et école.
Les programmes situent la poésie au cœur de la culture littéraire et humaniste mais laissent aux maîtres la liberté de l’aborder à leur gré. Or ce genre s’inscrit « au croisement de deux domaines que l’école s’efforce de dissocier (maîtrise de la langue et éducation artistique)»1. Les enseignants, oscillant entre ces deux pôles, se retrouvent souvent en difficulté pour l’aborder avec leurs élèves. Et si l’on suivait, tout simplement, la voix des poètes pour trouver la voie de l’apprentissage ?
Un regard sensible sur le monde
Si vous dites « poésie » à un élève de collège, il vous répond immanquablement par ses équivalents lexicaux : « rimes, vers, strophe, récitation »… Ou pire encore : « rien à comprendre, poussiéreux ». Rarement, il vous dit : jeux, monde, ou sensibilité » et moins encore « impressions ». Pourtant, n’est-ce pas cela en tout premier lieu, la poésie ? Une autre regard sur le monde, filtré par le prisme de la sensibilité, formé, déformé, reformé par le désir du poète, « ce formidable conteur de rêves »2. Quoi qu’il en soit, c’est avant tout cette image-là que l’école doit véhiculer dans le cadre de l’éducation artistique et de la construction d’une culture humaniste. Donner à lire, donner à ressentir, donner à dire et à entendre des poèmes aux formes et thématiques variées. Pour cela, il faut inviter les enseignants à proposer, dans la bibliothèque de classe, un choix d’œuvres de qualité, mises en page et illustrées avec soin afin que l’enfant ait envie de les ouvrir, les feuilleter, en grignoter quelques pages.
Partager nos émotions avec nos élèves
La collection « Poèmes de… » propose des anthologies de Prévert, Carême, Desnos, et invite le lecteur à utiliser le livre à sa guise grâce au ruban marque-page. Ce signet majestueux autorise à ne pas tout lire, à s’arrêter, revenir, reprendre la lecture. Laisser du temps à tous les élèves (pas uniquement à ceux qui ont fini leur travail, bien au contraire…) pour lire et choisir des textes qu’ils offriront à leurs camarades dans des séances réservées à cet effet. Lire avec les enfants et offrir à son tour un texte qui nous parle, sans supériorité, juste pour partager nos émotions avec nos élèves…
Répondre aux questions intimes d’une autre manière que la science
La collection « Demande aux poèmes ! » convoque la poésie pour répondre aux questions intimes d’une autre manière que la science et la raison. Est-ce que je peux avoir la tête dans les nuages et les pieds sur Terre ? interroge l’enfant via l’anthologie. Car la poésie interpelle le lecteur et l’invite, plus encore que tout texte littéraire, à entrer dans le jeu pour tisser le sens. Est-ce que je peux avoir la tête dans les nuages et les pieds sur Terre ? Assurément non répond l’astronome… et pourtant !!! La poésie propose une véritable recréation du monde que décrivent les scientifiques : Le carré a quatre côtés / Mais il est quatre fois pointu / Comme le Monde / On dit pourtant que la Terre est ronde […] (Poèmes de Robert Desnos, p. 82). Et c’est bien cela qu’il faut faire saisir aux élèves pour les guider vers le sens des textes. En lisant, par exemple, le numéro 247 d’Images doc avant ou après avoir découvert Retour de Michel Butor, La lune revient sale de Jean Elias, ou encore Mystères du ciel (M. Jacob), L’enfant qu’on envoie se coucher (C. Roy). Comprendre que l’on parle de la même chose en axant le regard tantôt sur le réel dont on veut percer le secret, tantôt sur le rêve qu’on a construit en observant le réel. Faire choisir des vers qui plaisent, des mots qu’on aime. Les inscrire avec soin dans le cahier de littérature. Faire reformuler le texte, ne pas le décortiquer mot à mot, mais l’investir tout entier en se demandant pourquoi les hommes sont tant attirés par la lune et sa face cachée…
Associer des mots, deux par deux, à l’endroit et à l’envers
Trouver des réponses dans les poèmes, les interpréter, les partager, les heurter au contact des autres. Chercher alors les mots qui racontent notre rapport à la lune. Emprunter ceux des journalistes d’Images doc, de Youpi, des poètes, des camarades, du maître ou de la maîtresse, de tous les livres ; ceux qui nous viennent en écoutant une musique, en regardant une image, en fermant les yeux. Les copier, les afficher, les choisir, les associer deux par deux, deux contre deux, à l’endroit et à l’envers, pour répondre aussi à la question posée aux poètes. On trouvera alors une clé pour saisir la première page du Son des couleurs 3, ouvrage dédié aux poètes : « Quelle chance nous avons / De ne pas savoir précisément / Dans quel monde nous vivons. »
Les mots sucrés de la puce, acides de la sauterelle
La poésie fait des jeux de langage un enjeu dans sa découverte du monde. C’est sous cet angle que les enfants s’y frottent avec le magazine Tralalire (rubrique « à lire sans Tralala »). Il invite le lecteur à investir physiquement le texte et l’image par une gestuelle, une répétition de la formulette, une invention. Au cycle 2, on se tournera vers les Poésimages4 et autres créations-valises qui nous permettront de voyager dans un univers où l’on découpe et cisèle les mots pour en faire naître de nouveaux, où l’on se joue des sons et des règles grammaticales. Quand l’enfant s’approprie la langue écrite, cet apport est fondamental, rendant l’acquisition de la conscience phonologique moins rugueuse et lui donnant du sens. Là encore, on collectionne les jeux de sons, les mots, on les décortique pour mieux les savourer et les imiter. Retrouver les devinettes de Youpi, les jeux de langage de J’aime lire. Lire Si je donne ma langue au chat, est-ce qu’il me la rendra ? Par exemple, François David (p. 14), Jacques Roubaud (p.16) et tous ceux qui aiment à mâcher les mots. Puis se demander quels sont les termes doux, sucrés qu’une puce aimerait sucer, ou d’autres acides et secs à offrir à la sauterelle… Voilà la vraie nature de la création poétique. Non pas la forme à imiter, mais les mots, enjeux du poème, enjeu premier de la maîtrise de la langue, véritable matériau à s’approprier puis à ordonner, sculpter dans une image pour écrire à son tour, à la manière non pas du poète mais des poètes.
1. Document d’accompagnement La poésie à l’école, 2004, ouvrage clé à redécouvrir.
2. Comme le dit Benoit Marchon dans sa préface à l’ouvrage Poèmes de Robert Desnos, Bayard.
3. Jimmy Liao, Le son des couleurs, Bayard, 2009.
4. Pierre Coran, Bernadette Després, Poésimages, Bayard 2009.
Par Agnès Perrin, agrégée de lettres modernes, professeur à l’IUFM de Créteil.
« Une autre regard sur le monde, filtré par le prisme de la sensibilité. »