Dans un dossier très complet, le magazine Okapi donne la parole aux “fact checkers”, ces traqueurs de fake news en images ou en mots. Deepfake, rumeur, propagande… face à ces fléaux, des journalistes vérificateurs de faits démêlent le vrai du faux et nous livrent leurs conseils pour chasser l’infox. Un métier d’avenir à découvrir avec vos élèves !
“Le pape François qui se marie ?” Fake news… Mais comment le prouver ?
- Notre fact checker : Monique Ngo Mayag. Job : traqueuse d’images truquées.
Âge : 37 ans. Média : Agence France Presse. Cellule : AFP Factuel.
Sa mission : “débunker” les photos mensongères.
Comment travaille le journaliste fact checker?
1• Je me vois comme une enquêtrice de la toile. Chaque matin, dans mon bureau à Dakar, au Sénégal, je pars en patrouille ! Mes recherches se concentrent sur l’Afrique de l’Ouest et centrale. Ce jour-là, en allumant mon ordi, je constate que des photos très partagées sur les réseaux, notamment au Cameroun et au Congo, montrent le pape en train de se marier. Ce contenu absurde devient viral !
2• À première vue, il s’agit d’un fake. Selon la doctrine catholique, un pape n’a pas le droit de se marier. Petit tour sur le moteur de recherche Google. Mon intuition se confirme : aucun article de presse n’évoque ce sujet. J’apprends même que le pape François, 87 ans, sort d’une hospitalisation. Afin de rétablir la vérité auprès des internautes, je dois bâtir un argumentaire en béton.
3• D’abord, retrouver l’origine des images. Il y en a toute une série. J’insère l’une d’elles dans un moteur de recherche spécialisé en recherche d’image inversée. Bingo ! Je trouve sa première trace Internet sur un forum du site américain Reddit. Un internaute raconte qu’il l’a créée en se servant de Midjourney : un outil qui produit des images grâce à l’IA. J’essaie de le contacter, sans succès. Je fais donc une capture d’écran de ses “aveux”, preuve que ces clichés ne sont pas de vraies photos.
4• J’examine chaque détail à la loupe. Les clichés créés par l’IA sont pleins de défauts. Ici, certains personnages ont le visage ratatiné, des oreilles mal rattachées à la tête, ou deux mains droites. Pas de verres sur les lunettes du pape à un endroit. Et la robe de la mariée ressemble étrangement à celle de Kate Middleton lors de ses noces avec le prince William. Autant d’indices que c’est un deepfake, un hypertrucage en français.
Les tips du fact checker : faire marcher le cerveau et ouvrir l’œil !
Si cette image de Taylor Swift était réelle, ce serait un scandale, tout comme le prétendu mariage du pape ! Voir la star se régaler d’une glace, en Afrique, devant des enfants affamés est odieux… C’est faux, c’est un deepfake qui peut suffire à créer un mauvais buzz.
👀 On peut détecter un deepfake à l’œil nu : en repérant des incohérences dans les éclairages et les ombres, les arrière-plans, en détectant les imperfections de visages (trop lisses, trop symétriques…) ou des mains aux extrémités négligées.
👀 On peut faire une recherche d’image inversée sur Google, Bing… ou sur le site TinEye pour trouver où elle a été publiée à l’origine.
👀 Dans le cas d’une vidéo : faire des pauses et regarder image par image.
La morale de l’histoire : attention à l’IA !
En 2024, près de la moitié de la population mondiale est appelée à voter. Dans ce contexte, les médias s’attendent à un déferlement de contenus mensongers, aussi appelés fake news en anglais, et infox en français, accéléré par le perfectionnement des technologies d’IA. Dans les rédactions et sur Internet, les “fact checkers” sont mobilisés. Traqueurs de désinformation, ils ont parfois l’impression de vider l’océan des fake news à la petite cuillère !
“Les campagnes françaises seraient de plus en plus touchées par des violences” : Info ou infox ?
- Notre fact checker : Armêl Balogog. Job : détective de la data.
Âge : 32 ans. Média : franceinfo. Cellule : Le Vrai du Faux.
Sa mission : examiner les déclarations à la loupe.
Comment vérifier l’information?
1• Suite à la mort de Thomas, 16 ans, en novembre 2023, lors d’un bal de village dans la Drôme, certaines personnalités de l’extrême-droite ont affirmé cela. Est-ce juste ?
2• J’ai la puce à l’oreille quand des politiciens répètent en boucle des phrases toutes faites. Ils essaient d’imposer une interprétation des événements qui correspond à leur vision du monde, pas forcément à la réalité ! Vite, il me faut trouver des chiffres pour vérifier cette info.
3• Je contacte d’abord la gendarmerie nationale, qui intervient dans les zones rurales. Et je leur demande des statistiques sur l’évolution de la délinquance. Surprise ! Ces chiffres n’existent pas. Il est donc impossible d’affirmer que les violences augmentent.
4• Je poursuis mon enquête en compilant des données du ministère de l’Intérieur. Je constate que les vols et les homicides dans les villages ont stagné en dessous de la moyenne française ces dernières années. On est loin de cette idée de chaos dans les campagnes.
Les tips du fact checker : Se fier aux sites de référence
👀 L’Insee (Institut national de la statistique et des études économiques)
👀 L’Ined (Institut national d’études démographiques)
👀 Eurostat (Information statistique à l’échelle européenne)
👀 Sécurité, santé, éducation, environnement, agriculture… En France, chaque ministère possède son propre service statistique dont les données sont dispos gratuitement en ligne. Le site data.gouv.fr les recense.
La morale de l’histoire : Gare aux manipulations !
Dans cette affaire, certains élus ont choisi de faire croire à une violence grandissante dans les campagnes pour se présenter en défenseurs de l’ordre et de la sécurité.
Une fausse rumeur sur les réseaux sociaux !… Comment lui tordre le cou ?
- Notre fact checker : Aude Favre. Job : terreur des rumeurs.
Âge : 42 ans. Média : YouTube. Cellule : What the Fake.
Sa mission : passer au crible les fausses rumeurs du Net.
Rumeurs ou complots, même combat !
1• Mon terrain de jeu favori ? Les réseaux sociaux ! Je m’intéresse aussi bien aux vidéos qui affirment que les fées existent qu’à celles qui propagent des rumeurs effrayantes. Ce sont les plus virales : la peur génère des clics.
2• Une légende urbaine embrase le net : des Roms (tsiganes, gitans…) circulant à bord de camionnettes blanches enlèveraient des enfants. Comme toutes les rumeurs, celle-ci n’a ni âge ni auteur. Mais elle ne s’arrête jamais depuis des années, à travers les vidéos sur des réseaux comme TikTok.
3• Face à ce type d’affirmations, un réflexe s’impose : regarder qui partage. Est-ce un média sérieux et reconnu ? Ou un compte qui véhicule tout et n’importe quoi ? Ne jamais hésiter à demander sa source à la personne qui publie. Une info sort forcément de quelque part.
4• Il y a aussi le compte de la gendarmerie locale. Ont-ils entendu parler de cette histoire ? Si des enfants étaient enlevés dans leur département, ils seraient au courant ! De manière générale, avant de cliquer, il faut se renseigner. Partager une vidéo multiplie la puissance de la rumeur qu’elle relaie.
Les tips du fact checker : Cliquer moins bête, cliquer utile !
👀 Defakator (sur YouTube et TikTok). Deviens à ton tour un super-héros de l’esprit critique.
👀 YannTouTCourt (sur YouTube et TikTok). Lutte contre les idées reçues sur le passé.
👀 Info ou Mytho ? (sur YouTube). Apprends à trier le vrai du faux.
La morale de l’histoire : Calomnie = danger !
Les rumeurs de kidnapping par des minorités religieuses ou ethniques, ça existe depuis le Moyen Âge. Hier, elles se transmettaient par le bouche-à-oreille. Aujourd’hui, elles se répandent sur les réseaux. Même sans fondement, les rumeurs peuvent entraîner des actes de violence, comme en 2019, à l’égard des Roms.
Vidéo de guerre détournée ? Comment le vérifier…
- Notre fact checker : William Andureau. Job : vérificateur.
Âge : 41 ans. Média : Le Monde. Cellule : Les décodeurs.
Sa mission : remonter à la source des vidéos trompeuses.
Guerre des images et de l’émotion
1• Les guerres se livrent aussi sur le terrain de la désinformation. Dans le conflit qui oppose Israël au Hamas, depuis les attaques terroristes du 7 octobre, des vidéos sorties de leur contexte circulent sur la toile. Ces contenus très durs visent à émouvoir les internautes et à les inciter à soutenir un camp. Mon rôle : vérifier leur origine et établir (ou non) leur véracité. Les images mensongères jettent de l’huile sur le feu.
2• Le hashtag #Pallywood revient souvent sur les réseaux. C’est un mélange de “Palestine” et “Hollywood”. Ce mot-valise sous-entend que les Palestiniens “feraient du cinéma” en montrant (avec du faux sang, par exemple) les blessures des victimes civiles de Gaza soumises à la riposte israélienne. En menant mes recherches, je tombe sur une vidéo où un jeune homme allongé au sol, que l’on peut penser palestinien, se fait maquiller par un autre. L’extrait est posté sur le compte d’un internaute qui dénonce une mise en scène.
3• Je clique sur la vidéo. Elle apparaît en plein écran, surmontée d’un bandeau où on lit la mention “Zombie DZ”. DZ désigne l’Algérie. Mais quel rapport entre l’Algérie et la Palestine ? Et pourquoi des zombies dans un contexte de guerre ? C’est louche ! Je dois retrouver la première personne ayant publié cette vidéo. Je tape donc “Zombie DZ” dans Google, en le mettant bien entre guillemets pour que les résultats incluent seulement les pages où les mots apparaissent dans cet ordre.
4• J’arrive alors sur un compte Instagram en arabe. Après une rapide traduction, je comprends que je suis tombé sur le profil d’un réalisateur algérien. Cette vidéo n’est autre que le making of d’un petit film de zombie ! Le jeune homme est un acteur qui se fait maquiller pour une scène. Les images n’ont aucun lien avec le conflit Israël-Hamas.
5• Cet exemple témoigne d’une tentative de propagande pro-israélienne. Cela se pratique aussi, bien sûr, du côté palestinien. J’ai analysé une autre vidéo censée avoir été tournée à Gaza. Elle montre un père qui entraîne sa petite fille à rire à chaque bombardement. Sauf que ces images datent de la guerre en Syrie. Elles sont propagées pour provoquer un sentiment de colère et de révolte chez ceux qui les relaient. Mon rôle : donner des clés pour que le lecteur devienne vérificateur à son tour.
Des jeux vidéo au service de la propagande
Tirs de missiles, tanks pulvérisés, avions abattus… Plus vraies que nature, les images du jeu vidéo de guerre Arma 3 sont régulièrement utilisées pour illustrer faussement des scènes de guerre en Ukraine ou à Gaza.
Les tips du fact checker : Vérifier l’authenticité des images
👀 S’agit-il de la version originale de la vidéo ?
👀 Où a-t-elle été tournée ?
👀 Est-ce que le style vestimentaire des personnes, mais aussi la végétation, l’architecture, la langue des panneaux routiers ou les plaques d’immatriculation concordent avec le prétendu lieu ?
👀 Quand a-t-elle été prise ?
👀 La lumière, les ombres, l’éclairage, permettent-ils de confirmer la date et l’heure de son enregistrement ?
La morale de l’histoire : La désinformation est une arme
En temps de guerre, chaque camp se sert des médias sociaux pour afficher de fausses infos visant à déshumaniser l’adversaire et à influencer l’opinion publique en sa propre faveur. En cas de doute sur une vidéo, le mieux est de ne pas la partager pour ne pas se rendre complice d’une manipulation.
Deepfakes et élections : le top 3 du du grand n’importe quoi
Indonésie : Le fantôme d’un ancien Président fait campagne !
Seize ans après sa mort en 2008, le général Suharto, ancien Président de l’Indonésie, a resurgi dans une fausse vidéo appelant à voter pour son parti lors des élections législatives de février. Pas sûr que les électeurs se soient laissés convaincre !
États-Unis : La voix du Président trafiquée !
En janvier, un faux enregistrement audio du Président des États-Unis, le démocrate Joe Biden, a déferlé sur les téléphones des électeurs de l’État du New Hampshire, les incitant à ne pas aller voter aux primaires censées désigner le candidat de son parti. Un comble alors qu’il se représente pour gagner la Présidentielle en novembre !
Royaume-Uni : Pour le Premier ministre, la galère du soupçon
Le Premier ministre britannique Rishi Sunak a été pris pour cible dans une centaine de vidéos truquées. Dans certaines, il apparaît faisant la publicité pour des investissements financiers frauduleux… Totalement bidon, et pas cool, à moins d’un an d’importantes élections.
- 30 573 : nombre de déclarations fausses de Donald Trump. Un record ! En tant que Président des États-Unis de 2017 à 2021, Donald Trump a fait 30 573 déclarations trompeuses ou erronées. Soit près de 21 fausses affirmations par jour, selon les fact checkers du quotidien américain Washington Post.
Pour aller plus loin
À explorer
• Découvrez notre rubrique Éducation aux médias, avec toutes nos ressources, conseils, décryptages pour mieux vous informer et aider vos élèves à exercer leur esprit critique.
• Du 18 au 23 mars : La 35e édition de la Semaine de la presse et des médias dans l’école donne l’occasion aux classes de s’interroger sur le métier de journaliste, en temps de guerre, et d’aborder des pistes pour mener la bataille contre la désinformation de plus en plus présente, via les plateformes et les réseaux sociaux.
À voir avec vos élèves
Le replay du webinaire interactif “J’apprends l’info !” : “Les ados face aux images”, accompagné du Kit PégaGO, des fiches pédagogiques pour travailler le contenu en classe. 45 minutes pour vérifier une image et comprendre son message !