Quelles sont les sept caractéristiques fondamentales qui constituent les bases de tout magazine jeunesse ? Pour quel projet éducatif ? Et dès lors, quel usage peut-on lui réserver en classe ?
Vous n’imaginez pas le nombre de fois où un enseignant nomme « livre » l’un de nos magazines. Comme si la spécificité même de la presse jeunesse s’était doucement engloutie dans la vaste production culturelle à destination des enfants. Et pourtant, que de différences et de complémentarités entre la presse et l’édition jeunesse ! Or, on ne naît pas lecteur de presse, on le devient. Lire un journal ou un magazine, cela s’apprend, au même titre que l’on apprend à lire un livre.
Les enfants qui ont la chance de pouvoir découvrir l’usage de la presse, grâce aux journaux qui sont spécialement conçus pour eux, ont toute chance de rester des lecteurs de presse lorsqu’ils seront adultes. Et dans notre monde, nous avons grand besoin d’une presse vivante et forte… donc de lecteurs de presse ! De plus, de nombreux activités en classe sont possibles en utilisant les revues comme des ressources à part entière (cf. les articles d’ Agnès Perrin et d’Aline Karnauch).
Le présent article a pour but d’offrir une petite « piqûre de rappel » en esquissant les contours de cette identité effacée pour mieux pointer quelques-uns des bénéfices apportés aux élèves par la rencontre avec les magazines jeunesse.
L’ami qui nous ressemble
Un magazine, c’est d’abord beaucoup moins intimidant qu’un livre. On le plie, on le froisse, on écrit dessus, on le déchire, bref on se l’approprie : c’est un prolongement de nos mains. On l’achète dans un espace moins sacralisé que celui de la librairie, un lieu populaire, ancré dans notre quotidien, entre bonbons, loto et petites annonces.
Est-ce pour cela qu’il serait plus bas dans la hiérarchie des produits culturels ? Certes non. Il prend par la main ceux qui sont les plus éloignés de la lecture, il invite ceux que parfois le livre effraie à entrer par une autre porte dans l’acte de lire et conduit en douceur vers le monde de l’écrit. Il fait le nid de la lecture. Un magazine crée de l’attachement, sur la durée. Un livre, c’est une histoire d’amour, un coup de cœur, un flash pour un titre, un auteur, une couverture…
Un magazine, c’est une histoire d’amitié, un rendez-vous régulier en confiance. On le guette dans sa boîte aux lettres, on l’aime, car on s’y retrouve et on sait au final qu’il nous aime aussi. D’ailleurs on se confie à lui, comme à un ami : les centaines de lettres que reçoivent chaque semaine les rubriques Courrier des lecteurs des revues jeunesse en témoignent. Il est fréquent de croiser un ancien lecteur de J’aime lire ou des Belles Histoires, devenu adulte, se remémorer par cœur les histoires dévorées dans son magazine. Sans parler des réactions hostiles de certains ados ou adultes à l’apparition de nouvelles formules : on change un logo, on fait disparaître un héros pour en faire naître un nouveau, plus adapté à son époque, et c’est toute une nostalgie d’enfance qui refait surface, preuve d’un lien affectif inusable par-delà les années.
Objectif : lisibilité et qualité
Un magazine met son lecteur au cœur. Ce qui signifie qu’il s’adresse aux enfants d’aujourd’hui et non à ceux d’hier. Qu’il répond aux besoins de la vie des enfants ici et maintenant. D’où l’évolution permanente du contrat de lecture et de la ligne éditoriale de chaque titre. Ainsi un numéro de Popi des années 1990 avait pour objectif d’éveiller les bébés. Mais les bébés des années 2010 sont bien assez éveillés… ils ont plutôt besoin qu’on les accompagne pour se calmer, mettre du sens et tirer un fil dans un bombardement de sollicitations. A projet éducatif différent, forme et rubriques différentes.
Un magazine s’adresse à tous les enfants. Il est de sa responsabilité de n’en laisser aucun au bord de la route. Les équipes de rédaction veillent à ne pas s’adresser à leurs enfants ni à l’enfant qu’ils ont été, mais bien à tous les enfants, en tenant compte de leurs grands écarts culturels, sociaux, éducatifs et cognitifs. Se rendre attirant, lisible, facile d’accès, tout en maintenant la qualité scientifique, littéraire et culturelle maximum, tel est l’objectif.
Un espace de rencontres
Un magazine crée de la relation. On s’y retrouve avec d’autres de la même classe d’âge, miroir de soi, miroir des autres. La lecture d’un magazine se partage, avec ses copains ou avec des enfants de son âge qui le lisent « comme moi, même si je ne les connais pas ». C’est un espace de rencontres. La presse jeunesse est aussi une porte ouverte sur un ailleurs, un au-delà de soi. Naturellement les écrans, la télévision et Internet, jouent aussi ce rôle de découvreurs de nouveaux espaces, mais un magazine élargit le champ de vision de l’enfant en partant toujours de son point de vue à lui. En ce sens, il ne lui donne pas à voir le monde, il le met en relation avec le monde. Il ne lui offre pas de connaître, mais de comprendre.
Une ouverture sur le monde social
Un magazine aide les enfants à devenir des citoyens. Cette compréhension d’un monde complexe mais passionnant, cette mise en appétit qui nourrit la curiosité naturelle des jeunes s’accompagne d’une mise en confiance de soi. Ainsi, le magazine permet à ses lecteurs, par le regard ouvert sur l’autre et sur le monde qu’il propose, de devenir des acteurs impliqués dans la société. En s’identifiant à la catégorie des « lecteurs de… », il fait exister socialement son lecteur et le fait entrer dans une dimension collective. En sollicitant son imaginaire, il lui propose de rêver le monde de demain autrement. Donc de se mettre en position de le changer plus tard.
Un magazine donne envie de grandir. Détournons l’expression employée par Stendhal pour définir sa vision du roman, « un miroir que l’on promène le long d’un chemin », et appliquons-la aux magazines jeunesse. Ce miroir donne envie aux petits lecteurs de chausser leurs bottes de sept lieues et de grandir pour aller parcourir les chemins de la vie… et de la lecture.
Et alors, en classe ?
On voit bien à travers cette carte d’identité la complémentarité, et non l’opposition, presse et livre. Oui, il est urgent que la presse magazine jeunesse retourne sur les bancs de l’école. Qu’on l’appelle par son nom, et qu’on lui réserve toute sa place. Car, tout simplement, ne plus cantonner la presse magazine au fond de classe ou à la BCD, la réintroduire parmi les autres supports et ressources à faire découvrir aux élèves, c’est déjà un grand pas de franchi.
par Murielle Szac, longtemps rédactrice en chef de magazines de la petite enfance chez Bayard.
S’adresser à tous, oui, mais comment s’y prend-on ?
Certains enfants naissent au milieu des histoires et des livres, d’autres pas : les inégalités sociales et culturelles commencent là. Bien connaître son lecteur, bien le comprendre et surtout adapter les contenus à son âge, à sa réception, à ses capacités cognitives sont les conditions indispensables pour rejoindre tous les enfants d’une même tranche d’âge.
Pour cela, les équipes de rédaction ne se contentent pas d’une vision fantasmée d’un enfant imaginaire, seulement connu à travers des études marketing et des sondages, elles passent du temps au contact de leurs lecteurs, elles font un travail à mi-chemin entre journalisme et sociologie. Rencontres et lectures en classe, observations silencieuses, entretiens avec des spécialistes, des enseignants, des orthophonistes, des psys… Tout est bon pour approcher au plus près la réalité complexe et multiforme de l’enfant d’aujourd’hui auquel la rédaction s’adresse*. Reste, ensuite, à veiller, chaque jour, à convertir notre regard d’adulte en regard d’enfant. Ainsi, en toute petite enfance, un travail de fourmi, invisible, est à l’œuvre pour que les textes et les images soient recevables et fluides.
Pour que l’enfant qui commence à entrer dans la langue du récit soit accompagné en douceur et s’y sente à l’aise. Parce que si une histoire ne prend pas en compte la lisibilité nécessaire pour qu’un enfant qui démarre dans la lecture puisse la recevoir, alors certains enfants se détourneront de l’histoire et seront mis en échec avant même d’avoir commencé à lire. Mais si, au contraire, tout coule, en harmonie, c’est le plaisir, l’émotion, le rire et l’envie d’y revenir assurés… Pari gagné !
Lire l’article « Prendre le pouls des enfants d’aujourd’hui »
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L’ ADN de la presse magazine jeunesse : une identité à redécouvrir