Lire des histoires à nos élèves, c’est bien, mais si nous leur délivrons sans accompagner la lecture, qu’en comprennent-ils ? Qu’en retiennent-ils ? Il est illusoire de penser que tous les enfants entrent dans une histoire spontanément.
La lecture littéraire, cela s’apprend : s’ils ne possèdent ni les clés ni les codes de l’univers du récit, nombre d’entre eux resteront sur le rivage. Voilà pourquoi j’ai développé dans ma classe de MS/GS des situations apprentissages en littérature, comme pour les autres disciplines.
Quotidiennement sont inscrits dans mon emploi du temps des moments pour travailler sur des textes littéraires. Ces temps s’articulent autour du scénario pédagogique de la séquence, bâtie après une lecture experte de l’œuvre. La séquence débute généralement par des séances préparatoires à la lecture permettant à l’élève de se créer un horizon d’attente, de construire le bagage lexical nécessaire ou de mobiliser ses facultés d’anticipation.
Par exemple, un matin, je regroupe mes élèves et j’annonce : « Aujourd’hui, nous allons travailler sur une nouvelle histoire. Je vais vous présenter les personnages de cette histoire. » Je dévoile une à une les cartes représentant les personnages de l’histoire, en laissant les élèves s’exprimer librement puis je nomme les personnages. À travers cet échange, ils commencent à se construire un horizon d’attente. Ils entrent dans le récit en découvrant les personnages d’une histoire.
Voilà l’une des entrées possibles pour préparer une lecture. Mais il y a bien d’autres manières de préparer à la lecture d’une histoire : chaque séance s’invente en fonction de l’analyse préalable du récit permettant, entre autres, de relever les éventuelles difficultés ou obstacles à la compréhension.
Préparer le plaisir de la lecture
On me demande souvent si présenter les personnages, par exemple, ne nuit pas à la découverte spontanée de l’histoire et au plaisir qui en résulte. La question mérite d’être posée : utiliser des textes littéraires comme support d’apprentissage est-il inhibiteur du plaisir à entendre des histoires, à ressentir des émotions littéraires ? Eh bien au contraire : toute mon expérience prouve que ces séances préparatoires et ce travail sur les textes décuple le plaisir d’écouter des histoires.
D’ailleurs nous qui ne sommes pas des lecteurs en devenir comme nos élèves, ne lisons-nous pas la quatrième de couverture avant d’entamer un roman pour en découvrir certains personnages, l’intrigue de l’histoire… afin de nous créer un horizon d’attente ? Permettre aux élèves, lors de séances préparatoires à la lecture, de découvrir certains éléments du récit ou convoquer des connaissances lexicales spécifiques, aide les élèves lors de l’écoute de la lecture du récit. Ainsi, l’allégement cognitif leur permet de centrer leur effort sur la compréhension du langage écrit.
Mener une réflexion sur le monde des histoires
Une fois la ou les séances préparatoires finies, vient le temps de la lecture. Elle peut être répétée plusieurs fois sans que les élèves s’en lassent et permet une imprégnation du texte. Ces relectures, collectives ou en petits groupes, sont alors support à des activités structurées pour discuter la compréhension, revenir sur un nœud de l’histoire, échanger les interprétations des élèves… L’histoire comprise et mise en mémoire, les élèves peuvent alors la raconter à partir des illustrations de l’album ou de cartes représentant les moments clés du récit.
C’est là que je fais intervenir leur cahier de littérature. Ce cahier aide l’élève à installer une réflexion sur le monde des histoires (donner son avis, ses impressions, justifier ses choix…), à se préparer à lire et à écrire (comprendre la fonction de communication et de mémoire de l’écrit, produire des écrits…) et à structurer les connaissances construites sur les textes littéraires (les personnages, les lieux, les liens de causalité…).
Construire un comportement de lecteur
Le vrai malentendu est que les élèves à qui on lit une histoire, et qui restent à l’extérieur de cette histoire, ne manifestent pas toujours leur incompréhension. Or la lecture oralisée pose des problèmes de compréhension parce que le langage écrit et le langage oral diffèrent par de nombreux points : la richesse du lexique, la complexité des formes syntaxiques… Aux difficultés linguistiques s’ajoutent des difficultés logiques (traiter les relations causales explicites et implicites, se repérer grâce aux connecteurs de temps et d’espace…) et des difficultés culturelles (avoir des connaissances encyclopédiques et socioculturelles, des connaissances littéraires).
Il en résulte que les élèves en difficulté face aux textes littéraires ne trouvent pas les clés pour entrer dans les œuvres. Ils ne se projettent pas dans le monde fictif, n’entrent pas dans les histoires, ne vivent aucune émotion, aucune aventure par procuration. Face à ces difficultés, il paraît donc naturel et essentiel de réfléchir à nos pratiques pédagogiques concernant la littérature en maternelle. D’autant plus que les enjeux sont importants tant au niveau cognitif, qu’au niveau culturel et personnel.
Lire de la littérature permet de développer les capacités langagières de nos élèves. C’est approcher la langue écrite, acquérir du lexique, mémoriser des formes syntaxiques… Les élèves construisent également un comportement de lecteur en devenant des chercheurs de sens. Ils peuvent mettre en lien le texte et les illustrations, ou prélever des indices laissés par l’auteur pour construire du sens, être en réflexion pendant la lecture pour répondre aux interpellations de l’auteur…
J’évite un questionnement abrupt et stérile qui ne viserait qu’à évaluer leur compréhension. Aux questions du style : « Qui est le personnage ? Que fait-il ? etc. », je préfère : « Qu’avez-vous compris ? Que se passe-t-il ? » Ils deviennent ainsi, ensemble, enquêteurs !
Créer des connaissances communes
Ces situations sont l’occasion pour les élèves de construire des connaissances littéraires relatives aux personnages (comprendre qu’un personnage est une force agissante dans le récit, découvrir des stéréotypes littéraires…) et de s’approprier des structures textuelles (découvrir le conte en randonnée ou les récits emboîtés, comparer des œuvres en fonction du rapport que la fiction entretient avec le réel, du rapport texte et illustrations, des intentions de l’auteur…).
Avec les textes, les élèves assoient une culture commune. Comme dans tous les domaines disciplinaires, il convient, en littérature, d’élaborer une programmation réfléchie et structurée. L’accumulation de textes choisis en fonction de la saison, du thème ou du coup de cœur n’aide pas les élèves à structurer des connaissances.
Réfléchir sur soi, sur les autres
Enfin, lire des textes littéraires amène les élèves à comprendre le réel à travers la fiction, mais aussi à ressentir des émotions littéraires, à vivre des aventures à travers des personnages en s’identifiant à eux, à réfléchir sur soi, sur les autres. Dans ma classe, un de mes élèves me dit un jour : « Je fais comme Pablo ! ». Il boudait suite à une frustration, reproduisant la même attitude que le personnage sur une des illustrations de J’veux pas y aller d’Yvan Pommaux. J’ai aussi vu de nombreuses fois mes élèves jouer dans la cour à L’inspecteur Raticho mène l’enquête, histoire de Fanny Joly.
Ces anecdotes sont nombreuses et très réjouissantes. De même je note, au fur et à mesure de l’année, lors de séances visant la co-construction de la compréhension du récit, que le taux de participation augmente. Nous prenons plaisir à vivre ces expériences littéraires, moi sur le plan didactique et pédagogique, tous mes élèves parce qu’ils trouvent les clés pour entrer dans le monde des histoires.
Par Sophie Warnet.
Pour voir une séquence de littérature avec un TNI filmée en MS/GS voir ici.