Serge Boimare, psychopédagogue réputé, ancien instituteur, propose à l’école une démarche innovante pour entraîner tous les élèves vers le plaisir d’apprendre et tous les enseignants vers le plaisir d’enseigner. Qui sont les élèves « empêchés de penser »?
Comment peut-on les aider à sortir de leurs difficultés scolaires ? En quoi la méthode proposée profite-t-elle aussi aux « bons » élèves et à leurs professeurs ? Serge Boimare répond à toutes ces questions en détaillant une démarche innovante et profitable à tous pour retrouver le plaisir d’apprendre et celui d’enseigner.
Vous prônez une approche des élèves en difficulté très différente de ce qui se pratique habituellement à l’école…
Serge Boimare : Le soutien individuel ou en petits groupes qui rajoute des heures pour rattraper un retard scolaire a prouvé son inefficacité. Les 15 % de jeunes qui sortent chaque année de notre école sans la maîtrise des savoirs fondamentaux sont avant tout des « empêchés de penser », qui ont d’abord besoin de nourrissage culturel et d’entraînement à s’exprimer, tous les jours, durant toute leur scolarité, pour pouvoir compenser leurs lacunes. Ce que je propose est une démarche qui stimule le désir de savoir de tous les élèves, y compris des meilleurs d’entre eux. C’est la raison pour laquelle j’encourage les professeurs à organiser leur classe et à donner du sens aux savoirs à partir d’une lecture à haute voix qu’ils vont faire tous les jours. Le feuilleton d’Hermès est parfait pour remplir ce rôle.
Comment définir un enfant « empêché de penser » ?
S. B. : Bien au-delà de ses manques dans les savoirs de base, l’enfant « empêché de penser » doit avancer avec trois insuffisances qui sont des freins considérables à l’apprentissage. Première insuffisance : il ne sait pas écouter, c’est-à-dire qu’il ne sait pas se mettre dans une écoute constructive qui lui permettrait de greffer de nouvelles représentations sur les siennes. Deuxième insuffisance : il ne sait pas s’exprimer, c’est-à-dire qu’il ne dispose pas d’une parole étayée et soutenue par la réflexion, ce qui l’empêche d’en arriver au langage argumentaire, étape incontournable pour organiser et structurer sa pensée. Troisième insuffisance : il n’arrive pas à décoller de ses préoccupations infantiles et personnelles.
Qu’est-ce qui conduit un enfant à tous ces manques ?
S. B. : L’explication est simple, ne la compliquons pas en allant chercher le secours de la neurologie ou de la génétique : l’enfant empêché de penser n’a pas les compétences psychiques pour supporter les contraintes de l’apprentissage. Lorsqu’un enfant, au cours de ses premières expériences éducatives, n’a pas été confronté à des exigences qui vont lui permettre de savoir attendre, de reconnaître ses insuffisances, de respecter des règles, de supporter un moment de solitude, la confrontation avec les exigences de l’apprentissage ne peut plus se faire simplement. La plupart du temps, les adolescents en échec scolaire sont encore en prise avec un besoin d’immédiateté, de toute-puissance, de refus des limites. C’est bien à cause de cet antagonisme que la démarche d’apprentissage déclenche chez eux des sentiments parasites et des émotions excessives. Elle remet en cause leur équilibre précaire. C’est pour se protéger de ce dérèglement que ces enfants mettent en place un comportement et des stratégies qui leur permettent d’éviter le temps réflexif si important pour apprendre. C’est ici qu’arrive l’empêchement de penser.
C’est ce qui provoque agitation et hostilité aux professeurs et aux exercices ?
S. B. : Bien sûr, mais il y a aussi une autre forme de l’empêchement de penser qui parfois nous alerte moins et qui pourtant mérite toute notre attention. Elle se traduit par de l’endormissement, de la passivité, du conformisme, voire de l’inhibition intellectuelle. Ne nous y trompons pas : eux aussi sont des phobiques du temps de suspension qui cherchent à court-circuiter le moment réflexif de l’apprentissage.
Mais comment réconcilier ces élèves avec l’apprentissage ?
S. B. : D’abord, ne pas les encourager à améliorer leurs stratégies anti-apprentissage en leur proposant des entraînements répétitifs. Il y a deux choses à faire simultanément : il faut d’une part les aider à enrichir et sécuriser leurs représentations, et d’autre part les entraîner à utiliser la démarche réflexive. En classe, rien de compliqué, il suffit de consacrer chaque jour une heure à deux activités que nous allons associer et qui se révèlent très favorables pour embarquer tous les élèves vers l’apprentissage : le nourrissage culturel et l’entraînement à débattre et argumenter.
Comment cela se passe-t-il ?
S. B. : Pour rester au plus près des missions de l’école, pour mener ces deux activités, je conseille d’utiliser les textes fondamentaux qui sont au programme de littérature ou d’histoire (contes, récits mythologiques, textes fondateurs des religions ou des civilisations, romans initiatiques, historiques, fables…). Ils seront d’abord lus à haute voix par un enseignant à raison de 12 à 15 minutes chaque jour. Ils deviendront ensuite le support d’un débat oral et écrit (40 minutes). Ils seront enfin utilisés pour donner du sens et des racines aux savoirs. Rien de révolutionnaire dans cette pratique ! Il ne s’agit pas ici de psychothérapie, comme le disent les partisans de l’immobilisme. Nous ne faisons que transmettre les textes les plus importants de notre patrimoine culturel. Nous ne faisons qu’entraîner les élèves à s’exprimer au plus juste de leurs intentions. Nous ne faisons que donner de l’intérêt aux savoirs. C’est exactement ce que recommandent les rédacteurs du socle des connaissances, des compétences et de la culture. D’ailleurs, cette pratique de la médiation culturelle est positive pour tous les élèves : quel que soit leur niveau de connaissances et de compétences, ils sont mis chaque jour dans une position active et participative. De plus, ces deux activités associées, de nourrissage et de débat, à condition de les mener tous les jours, vont changer la dynamique de la classe en construisant un patrimoine culturel commun, dont chacun va pouvoir s’emparer pour trouver sa place dans le groupe, pour améliorer ses compétences civiques et pour relancer son désir de savoir.
Et du côté des enseignants, quels bénéfices ?
S. B. : Ces deux activités associées vont pouvoir être utilisées pour donner du sens et des racines aux savoirs et pour faire du lien entre les disciplines. C’est comme cela que nous allons relancer d’un même coup l’intérêt pour la pratique pédagogique des professeurs et le désir d’apprendre des élèves. Aborder une notion mathématique ou scientifique, apprendre l’anglais ou la géographie, s’initier à la musique ou à la technologie, en s’appuyant sur un récit ou parfois sur une question qui a émergé du débat, va entraîner l’adhésion des élèves, c’est incontestable, mais cela va aussi donner les moyens aux professeurs d’exercer leur créativité.
Pourquoi utilisez-vous les feuilletons mythologiques ?
S. B. : J’utilise et conseille beaucoup l’utilisation de ces ouvrages. Le personnage principal, fil conducteur est l’inverse d’un empêché de penser : que ce soit le petit dieu Hermès, le jeune héros Thésée ou Ulysse, tout ce qu’ils entreprennent les amène à observer et à questionner pour essayer de comprendre. Il est fréquent que des élèves en difficulté s’identifient et se passionnent pour ces héros. C’est en leur compagnie qu’ils comprennent que, pour savoir, il ne suffit pas de voir. Que pour bien connaître, il faut chercher, faire des liens, se faire expliquer autrement, savoir attendre. Quand Hermès veut tout savoir sur le fonctionnement du monde, il les entraîne dans son sillage. Pourquoi son père est-il le maître du monde, alors qu’il a des frères plus âgés ? Comment a été créée la Terre ? D’où vient la violence ? Pourquoi l’amour ? Comment est arrivé l’homme ? Comment expliquer ces conflits dans une même famille ? Pourquoi faut-il obéir ?… J’aime aussi particulièrement Hermès, car il va leur faire comprendre que la maîtrise du langage n’est pas un truc réservé aux filles ou aux faibles. Pour se sortir des situations les plus périlleuses, pour avoir des informations, pour faire tourner les évènements à son avantage, pour commander, pour séduire, il faut avoir des mots et savoir s’en servir.
Ouvrages de Serge Boimare :
- L’Enfant et la peur d’apprendre, Dunod, 3e édition, 2014.
- Ces enfants empêchés de penser, Dunod, 2008.
Mallette pédagogique « Apprendre avec Hermès, penser et comprendre le monde avec la mythologie grecque » :
De nombreux enseignants ont adopté l’ouvrage de Murielle Szac Le Feuilleton d’Hermès, la mythologie grecque en 100 épisodes (Bayard Éditions, 2009). Mais comment en tirer le meilleur profit en classe ? Comment s’en servir pour mettre en œuvre la médiation culturelle proposée par Serge Boimare ?
Cette mallette pédagogique est un outil pour permettre à chaque enseignant, de cycle 2 ou de cycle 3, d’accompagner ses élèves pour penser et comprendre le monde à travers la mythologie grecque. En passant par l’oral, mais aussi l’écrit, il s’agit de permettre une élaboration collective et individuelle de la réflexion personnelle sur le monde. Ces récits, qui nous parlent des préoccupations humai-nes les plus anciennes et les plus fondamentales prennent sens pour tous les enfants.
Cette démarche est un levier formidable pour stimuler la pensée de tous et construire la cohésion de groupe indispensable au bon fonctionnement de la classe hétérogène tout en favorisant la transmission des savoirs.
Cette mallette, conçue par une équipe de formateurs et d’enseignants du premier degré, avec Serge Boimare, comprend :
- Un guide pédagogique avec un descriptif détaillé de la démarche de la médiation culturelle, par Serge Boimare, des conseils pratiques pour la mise en œuvre des séances, des pistes et idées de projets pédagogiques à mettre en place.
- Un bloc de 100 fiches pédagogiques, proposant pour chacun des 100 épisodes les enjeux et thématiques de l’épisode, des pistes de questions pour mener le débat, un sujet pour faire écrire chaque élève et des prolongements possibles (arts, histoire, géo…).
- Deux affiches + un CD pour projeter des œuvres d’art sur la mythologie grecque.
- Un jeu de 64 cartes, Mythos, pour inventer ses propres aventures mythologiques en équipe, en réinvestissant tout ce qui a été appris, tout en développant son imaginaire et ses compétences en production d’écrit.
- Des étiquettes autocollantes pour personnaliser les cahiers de médiation culturelle des élèves et le matériel de l’enseignant
Les auteurs avec Serge Boimare :